Publié dans le Figaro-Magazine
Pour préparer cette narco-invasion, un consortium criminel s’installe, de la Colombie vers le Brésil et le Venezuela et de là vers l’Europe. En commençant par l’Espagne pays où, au même moment et pas par hasard, des narcos colombiens investissent le Milieu criminel.
Objectif des trafiquants : convertir à la cocaïne et au « crack » les jeunes européens, aujourd’hui amateurs de cannabis et de drogues de boîte de nuit comme l’Ecstasy. Car aujourd’hui, les narcos ont une incitation forte à faire du marché européen de la cocaïne le premier du monde : au prix de gros en effet, le kilo de « coke » pure se vend 1 500 euros en Colombie, 9 000 à Miami, 13 000 à New York … et de 22 à 25 000 euros en Europe.
Cet afflux de cocaïne vers l’Europe, les douaniers français le ressentent déjà : fin 2002, les saisies de cocaïne y frôlent les 2,6 tonnes (+ 34 % sur l’année 2001). Pour un de leurs analystes : « Il y a plus de marchandise en circulation… Les Colombiens se tournent vers l’Europe ».
« Guerre à la drogue » : la théorie et la pratique
Une autre incitation, « sécuritaire » celle-là, pousse les narco-trafiquants Colombiens à investir le marché européen : en l’an 2000 en effet, les Etats-Unis ont déclenché contre eux une « guerre à la drogue » pour laquelle ils ont déjà dépensé 2,5 milliards de dollars. Cette guerre a pour objectif annoncé d’anéantir le système de production et de distribution de cocaïne en Colombie ; et de faire extrader aux Etats-Unis les narcos importants.
La Colombie mène une véritable guerre contre les narcotrafiquants avec l’aide de la France, qui participe à la création d’un réseau policier pour attaquer les bases de production de cocaïne.
Or cette ambition affichée est irréaliste – et Washington le sait fort bien. Plus d’1 million de Km2, 40 millions d’habitants, la Colombie, c’est d’immenses chaînes montagneuses longeant d’énormes forêts équatoriales, 7 400 kilomètres de frontières terrestres et 3 200 de maritimes. Détruire là-dedans 150 000 hectares de coca et quelques centaines de labos relève vraiment de la mission impossible. En fait, glissent discrètement des experts américains, l’objectif réel de la « guerre à la drogue » est de repousser la culture de la coca et la fabrication de la cocaïne loin vers l’immensité sauvage aux confins du Brésil – pays dont la frontière avec la Colombie s’étend sur 1 645 kilomètres d’une impénétrable forêt vierge.
Pourquoi donc ? Produite aux marges du bassin Amazonien, la cocaïne s’écoule peu vers l’Amérique du nord – ce qui est l’objectif en réalité visé par les Américains. Mais au contraire, beaucoup vers le Brésil, et de là vers l’Europe. Ceci n’est pas de la politique-fiction : d’ores et déjà, le Brésil est le premier consommateur de cocaïne d’Amérique latine (50 tonnes par an) – mais surtout, une plate-forme majeure d’exportation de la « coke » vers l’Europe, soit en direct par voie maritime, soit via les Caraïbes ou l’Afrique.
Cocaïne, destination Europe : le tremplin brésilien
Ces dernières année, et sans qu’à ce jour les Européens s’en soient vraiment soucié, le Brésil a connu une véritable explosion criminelle. Loin, très loin de Dario Moreno et de son célèbre « Si tu vas à Rio… », ces métropoles du géant de l’Amérique latine que sont Sao Paulo et Rio de Janeiro, sont aujourd’hui sous la coupe de réelles armées du crime ; armées qui sont désormais les associés les plus proches et les plus efficaces des narco-trafiquants colombiens.
Ces gangs territoriaux brésiliens portent des noms fort gauchiste-chic : « Commando Rouge » ou « Premier Commando de la Capitale » – mais ne nous y trompons pas, ce sont de pures et simples bandes criminelles. En 2003 et rien qu’à Rio, ils comptent 11 000 soldats et réalisent un un chiffre d’affaires de 8 millions d’Euros par mois…
Patrouille de police antidrogue dans une favela brésilienne.
Dans leurs fiefs, les célèbres favelas, ces gangs – disent les policiers brésiliens – pratiquent le négoce des stupéfiants, les enlèvements contre rançon et les vols à main armée. Mais il y a pire : devenus au fil des ans un véritable pouvoir parallèle, ils « assurent la paix publique », « dispensent la justice », prélèvent sur le commerce licite un impôt criminel – et disposent même de leurs propres centraux téléphoniques clandestins. Bref, ils font la loi.
En mars par exemple, le Carnaval de Rio (samba, fête et joie de vivre) s’est tenu sous la protection de 3 000 militaires et de blindés. Furieux des conditions de détention de 34 de ses cadres dans une prison de la ville, le « Commando Rouge » multipliait les embuscades contre la police, les attentats à l’explosif visant centres commerciaux et cibles officielles – 33 autobus incendiés en quinze jours. Telle est la situation dans la plate-forme de départ de la cocaïne vers l’Europe. Et à son point d’arrivée ?
A la conquête du Milieu » espagnol
Le point d’arrivée de la cocaïne en Europe, c’est l’Espagne, pays qui, compte d’ores et déjà plus de 600 000 cocaïnomanes et qui, lui aussi, présente des symptômes criminels fort inquiétants – pour la même raison que le Brésil.
Fin 2002, 300 000 Colombiens vivent en Espagne. 70 000 légalement, le reste, clandestinement. A Madrid, 25 000 Colombiens légaux, 100 000 au total – dans la capitale une prostituée sur trois est Colombienne. Devant la violence folle de 4 à 500 tueurs colombiens, les « Sicarios », désormais installés en Espagne, le « Milieu » indigène bat en retraite. A Madrid, début 2003, la police dénombre 76 gangs constitués, dont 43 colombiens – il n’y en avait que 6 en l’an 2000…
Chaque année depuis 2001, les crimes et les homicides commis par des Colombiens en Espagne sont plus nombreux – de janvier 2001 à mars 2003 et rien qu’à Madrid, 27 bandits Colombiens assassinés – souvent au grand jour, en pleine rue, par des bandits cagoulés, façon Bogota… Désormais les Colombiens sont la seconde nationalité présente dans les prisons espagnoles, après les Marocains : 400 détenus en janvier 2001, près de 2000 en février 2003.
Plus grave encore que leurs exactions au quotidien, ces gangsters installent discrètement la logistique du futur « Cartel de Madrid ». Une implantation que de nombreuses traces permettent de déceler. Ces deux dernières années en effet, deux laboratoires de raffinage et de conditionnement de la cocaïne ont été découverts en Espagne, où l’on a aussi arrêté plusieurs spécialistes des divers métiers du narco-trafic : logistique, comptabilité, gestion de sociétés-écran, etc.
La drogue, elle, arrive en quantités sans cesse croissantes, mais désormais plus discrètement. Pendant des années, le point d’arrivée de la cocaïne en Espagne était la côte (Atlantique) de la Galice et les opérateurs, des contrebandiers locaux. Aujourd’hui la drogue arrive surtout en Catalogne (côte méditerranéenne), à bord de cargos marchands. Ce qui est plus difficile à déceler – et d’ailleurs, les saisies s’en ressentent : en 2002, elles se sont ainsi effondrées à 7 tonnes – contre 35 en 2001…
Or la transformation de l’Espagne en « tour de contrôle » du trafic de cocaïne pour toute l’Europe du sud le Maghreb n’est pas qu’un problème pour Madrid – mais aussi, et pas moins, pour la France.
Dans notre pays en effet, un récent rapport du Sénat a permis de mesurer l’importance de la consommation de Cannabis, une drogue qu’environ 15 % des adolescents et jeunes adultes consomme plus ou moins régulièrement. Et l’essentiel du haschisch fumé en France provient du Maroc, d’où il emprunte forcément la voie terrestre pour atteindre sa destination finale – les quartiers et cités dits « sensibles » de nos villes – désormais les grandes comme les petites.
Ce trajet passe forcément par l’Espagne. Le risque est donc énorme que les trafiquants approvisionnant nos cités se tournent vers l’immensément plus lucratif négoce de la cocaïne, une fois l’Espagne devenue la tête de pont régionale de cette drogue.
Pour un expert policier, dont nous partageons en tout point l’analyse, « les malfaiteurs derrière ce trafic (aujourd’hui de cannabis et demain, de cocaïne) sont des voyous en train d’amasser un patrimoine financier qui les rendra intouchables. Ils sont le grand banditisme violent de demain ».
Depuis 2002, la « guerre à la drogue » menée par les Etats-Unis en Colombie repousse la production de la cocaïne vers le Venezuela et surtout le Brésil, des pays dont le débouché naturel est l’Europe.