La naissance du FLNC ne doit rien à la génération spontanée; c’est le fruit d’une histoire, celle du dernier quart de siècle. Mais bien auparavant, dès la fin du XIXe siècle, un mouvement régionaliste s’est manifesté contre la politique d’assimilation des gouvernements de la IIIème république. Une résistance surtout culturelle autour des journaux "A Cispra" puis, après 1912, "A Tramuntana".
Dans l’entre-deux-guerres le mouvement revendicatif renaît et se radicalise avec un "Parti Corse d’Action" (PCA) ouvertement autonomiste, animé par Petru Rocca. En 1927, le PCA devient le "Parti Corse Autonomiste", appelé aussi mouvement "Muvriste". Son journal, "A Muvra", qui lui donne son nom, part en guerre contre le clanisme des élus locaux et développe déjà le thème de l’abandon de l’île. Mais l’Italie fasciste, faisant de l’italianité de la Corse un des leitmotiv de sa propagande, va s’appuyer sur l’irrédentisme et le Muvrisme, collaborateur du fascisme, ne survit pas à la seconde guerre mondiale.
La fermentation des années soixante
La contestation régionaliste réapparaît dans les années soixante, où la "défense des intérêts de la Corse", thème mobilisateur, suscite la création de nombreux groupes.
En 1960, la disparition du chemin de fer provoque l’apparition à Ajaccio du "Mouvement du 29 novembre" et à Bastia celle du "Groupement pour la Défense des Intérêts Economiques de la Corse" (DIECO) .
En 1963, la revendication prend un tour nettement politique avec la création, à Paris par Charles Santoni, de l’"Union Corse - l’Avenir". De tendance socialiste, elle réunit des intellectuels et des étudiants. La même année se tient à Corte le 1er congrès de l’"Union Nationale des Etudiants Corses". Rassemblant des représentants d’associations de jeunes allant des bonapartistes aux communistes, elle propose un programme régionaliste avec comme exigence immédiate le monopole de la Compagnie Générale Transatlantique.
En 1964, Max Siméoni et Paul-Marc Seta fondent le "Comité d’Etude et de Défense des Intérêts de la Corse" (CEDIC) pour obtenir un statut fiscal compensant l’insularité, devant préserver "l’ethnie corse".
Le 31 juillet 1966, l’Union Corse et le CEDIC fusionnent à Corte et donnent naissance à un "Front Régionaliste Corse" (FRC) d’inspiration socialiste. Mais les positions politiques des deux mouvements sont trop divergentes pour que la fusion réussisse. Max Siméoni maintient donc le CEDIC et réunit dans un premier temps plus d’un millier de partisans à Cateraggio : c’est la création de l’"Action Régionaliste Corse" (ARC) en 1967; elle exige un statut particulier et organise des manifestations souvent violentes.
C’est dans ce contexte effervescent que se produit l’arrivée massive des rapatriés d’Afrique du Nord. Ces arrivées s’échelonnent de 1957 à 1965 avec un afflux brutal en 1962 suite à l’indépendance algérienne. On dénombre officiellement pendant cette période 17 500 arrivants, soit plus de 10 % de la population totale de l’île. L’accueil est au départ plutôt favorable : un immigrant sur quatre porte un nom corse; un sur cinq est né dans l’île. Mais le flux croissant des "Pieds-noirs" suscite irritation et rancoeur; engendre suspicion et envie. Les Pieds-noirs louent ou achètent en effet de vastes terres dans la plaine orientale et les mettent en valeur grâce aux crédits d’ Etat de la "Société de mise en valeur agricole de la Corse" (SOMIVAC). La réussite de ces nouveaux entrepreneurs éveille chez nombre d’insulaires la peur diffuse de perdre leur identité. Dans le "miracle de la Mitidja corse" ils voient la transformation de leur île en une "colonie de peuplement"; dans la SOMIVAC, le "colonialisme extérieur".
En 1965, 13 attentats sont recensés; la SOMIVAC voit ses premières constructions, celles de Ghisonaccia, attaquées à l’explosif.
En 1968, 35 attentats. Cette année-là, à Borgo, au sud de Bastia, est commis un énorme vol d’explosifs (2 500 kg) et de détonateurs (1 900), revendiqué par un prétendu "Comité de Libération". La même année, une première organisation se réclame publiquement des thèses indépendantistes : "Corse libre".
Le bouillonnement des années soixante-dix
En 1973, l’"Action régionaliste Corse" et le "Front régionaliste Corse"se rencontrent et s’accordent à faire la Corse "corse" et obtenir l’autonomie. Mais le FRC, devenu le "Parti du Peuple Corse" (PPC) est nettement autonomiste, là où l’ARC s’en tient à la revendication plus ambigüe d’une autonomie interne "dans le cadre de la France".
En 1973-1974, deux affaires suscitent une forte émotion dans la population corse. Celle dite "boues rouges" dans laquelle une Société Italienne est accusée de pollution. Une émeute éclate à Bastia. La sous-préfecture est attaquée. De même pendant ces deux années, monte la revendication d’une université corse à Corte en souvenir de celle de Pascal Paoli.
1973 et 1974 sont des années charnières dans l’histoire de la violence nationaliste en Corse. Plusieurs groupes clandestins voient le jour. Si de 1968 à 1973 le nombre des attentats est resté stable, il augmente à partir de ce moment de manière spectaculaire
En 1973, dans le sud de l’île, apparaît le "Front Paysan Corse de Libération" (FPCL) qui déclare vouloir mener la lutte armée au nom du peuple corse. Le FPCL exige l’expulsion des colons de la plaine orientale, le remplacement de tous les fonctionnaires français par des Corses et l’enseignement obligatoire de la langue corse dès l’école primaire. La première nuit bleue du FPLC a lieu le 3 janvier 1974 : 9 plasticages; le 30 du même mois ce mouvement est dissout en Conseil des Ministres.
En février 1974 se constitue le "Parti Corse pour le Socialisme" (PCS) à partir de l’ex-"Parti du Peuple Corse pour l’Autonomie". Organisation révolutionnaire et structurée, le PCS a pour organe "Liberta". Il prône ouvertement l’indépendance et propose à toutes les organisations séparatistes "l’unité des patriotes corses" à travers un "Front de Libération Nationale". Fin juillet 1975, on peut lire dans "Vers la libération nationale de la Corse", brochure du PCS, "Il appartient à tous ceux (...) qui luttent pour la libération nationale de notre peuple, de se rassembler dans un Front de Libération Nationale. Le PCS appelle à la constitution de ce front."
Un troisième groupe clandestin intitulé "Ghustizia Paolina" (GP) marque sa naissance en plastiquant le 22 mars 1974 une caravelle d’Air Inter sur l’aéroport de Bastia. "GP" opère dans le nord de l’île.
40 plasticages en 1973, 111 en 1974, 226 en 1975. Les attentats visent les symboles du colonialisme français et du capitalisme extérieur. Le nombre d’attentats augmente et s’étend même au continent.
Les responsables de l’ARC, eux, sont qualifiés par les clandestins de "petits bourgeois" et de "réformistes". "GP" dans son "manifeste de Pentecôte" critique sévèrement les autonomistes.
L’ARC, désormais "Action pour la Renaissance de la Corse", tient son IIème congrès en juillet 1975 à Corte. Le ton monte; Edmond Siméoni radicalise ses positions. Le congrès dénonce entre autres la fraude des viticulteurs "pieds-noirs" de la plaie orientale. En août, les événements d’Aléria connaissent un retentissement national. Le 21, un commando armé conduit par E. Siméoni occupe la cave d’un viticulteur. Les forces de l’ordre interviennent, des coups de feu sont échangés. Deux gardes mobiles sont tués; un militant autonomiste a un pied arraché par une grenade. Quelques jours plus tard des émeutes éclatent à Bastia. Les autonomistes tirent : 1 CRS tué, 14 blessés. L’ARC est dissoute. Ses dirigeants passent en jugement.
En février 1976, l’"Association des Patriotes Corses" (APC) remplace l’ARC; Max Siméoni prend le maquis.
L’aboutissement d’un processus
1976 : "GP" demande à ses militants de suspendre la lutte armée et le FPCL s’autodissout le 24 avril 1976 suite à des dissensions internes. Les deux organisations fusionnent alors : le "Front de Libération Nationale de la Corse" (FLNC) est né.
La première action armée du FLNC se situe dans la nuit du 4 au 5 mai 1976 : 22 attentats au plastic dont un au Palais de Justice de Marseille. Dans le même temps, à Corte, des tracts font état de l’unification des rangs nationalistes : "Une étape décisive de la lutte de libération nationale de notre peuple a été franchie. Les nationalistes ont décidé de s’unir en créant le FLN, dernière étape de 10 ans de lutte".
Le 5 mai, le FLNC se fait connaître par une "conférence de presse" clandestine : trois journalistes corses interviewent sa direction dans les ruines du couvent de Saint-Antoine de Casabianca où, le 17 juillet 1755, Pascal Paoli proclama l’indépendance de l’Etat corse.
Dès lors toutes les organisations clandestines laissent le champ libre au FLNC